Ce que j’ai appris de mes patients atteints d’hyperacousie
par Hyperacusis Central | Déc 18, 2023 | Uncategorized | 0 commentaires
Nous remercions nos amis de la Hearing Health Foundation de nous avoir permis de partager cet article sur notre site web.
Shelley Witt est une audiologiste pionnière à l’Université de l’Iowa. Elle est l’une des rares audiologiste a avoir reconnu qu’il y a des différences entre l’hyperacousie liée à l’intensité sonore (« loudness hyperacusis » en anglais) et l’hyperacousie douloureuse (« pain hyperacusis » en anglais). Dans cet article, elle explique comment elle a appris que la sagesse conventionnelle (les idées et croyances communément admises et largement acceptées) est préjudiciable et dangereuse pour les patients souffrant d’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis).
Par Shelley Witt, M.A., CCC-A
Pendant que je passais mon diplôme de premier cycle en psychologie, j’ai travaillé comme nounou pour une famille sourde. À l’époque, je connaissais le langage des signes de façon basique, ce qui me permettait de m’en sortir.
Cette famille était culturellement sourde et en était fière. A l’arrivée de leur nouvel enfant, l’annonce indiquait qu’ils étaient « fiers d’annoncer un enfant sourd de quatrième génération. » A cette époque, les implants cochléaires étaient encore à leur début.
J’ai été nounou pour eux pendant de nombreuses années. J’ai vraiment aimé cette famille et cette expérience, cela m’a ouvert à un nouveau monde.
Vers la fin de mon expérience de nounou, un professeur m’a parlé d’un poste de recherche impliquant les implants cochléaires. Dans ce nouveau poste, j’ai été exposé à une autre facette du monde de la surdité : des parents avec une audition « normale » (non sourds) qui ont des enfants nés sourds. J’ai pu observer comment beaucoup de ces parents géraient avec du chagrin la surdité de leur enfant.
J’ai apprécié les différents rôles que j’ai connu tout au long de mes 30 années de carrière d’audiologiste. Mais, à environ à mi-chemin, je me suis ennuyé et j’ai voulu relever un nouveau défi. J’ai abordé Richard Tyler, Ph.D., le directeur de la clinique pour les acouphènes et l’hyperacousie de l’Université de l’Iowa. Il m’a demandé si je serais intéressée de travailler avec des personnes souffrant d’acouphènes et/ou d’hyperacousie. Tout ce que je savais sur l’hyperacousie, c’était que c’était une sensibilité au son. C’était il y a 16 ou 17 ans, et il y avait peu de connaissances dans ce domaine à l’époque.
J’ai découvert que la thérapie sonore pouvait être bénéfique pour les patients atteint d’hyperacousie. C’était passionnant car je voyais des gens s’améliorer rapidement. En commençant par l’introduction de dispositifs simples au niveau de l’oreille, dispositifs émettant un bruit large à un volume très bas, je pouvais amener les patients avec succès à des niveaux de tolérance sonore presque « normaux ». Et même si cela ne fonctionnait pas, je me disais que cela ne pouvait pas aggraver les maux de ces patients, que cela ne rendrait pas les choses pires. A mes yeux, la thérapie sonore était donc une évidence.
Je suis devenu sûre de moi. L’hyperacousie était devenue pour moi la chose la plus facile au monde à traiter ! Pourquoi n’avons-nous pas appris cela à l’école supérieure ?
Pendant quelques années, je voyais environ 20 patients atteints d’hyperacousie par an. Je les traitais avec la thérapie sonore et j’obtenais d’excellents résultats. J’ai conservé des données de suivi sur certains d’entre eux pendant cinq à dix ans, et les patients se portaient très bien.
Un type de douleur unique
La thérapie sonore fonctionnait … jusqu’à ce que cela ne soit plus le cas. Pour une patiente, la thérapie sonore a rapidement aggravé sa condition.
Je me suis d’abord dit que cette patiente n’avait pas d’hyperacousie, qu’elle avait autre chose.
Puis, à travers cette expérience, j’ai appris qu’il pouvait y avoir différentes sévérités d’hyperacousie, et que les personnes que j’avais traité étaient des personnes souffrant d’hyperacousie liée à l’intensité sonore (loudness hyperacusis). Ces personnes signalaient que des bruits soudains, comme la vaisselle qui s’entrechoque, les pleurs de bébés, les éclats de rire … étaient gênants, mais pas nécessairement douloureux. Ces bruits n’étaient pas non plus invalidants.
J’ai appris qu’il y avait de nombreuses personnes qui souhaitaient obtenir de l’aide mais qui ne pouvaient même pas se rendre à la clinique. Un patient a demandé à un membre de sa famille de me contacter pour me dire qu’il ne pouvait pas venir me voir car il ne pouvait pas supporter le bruit du trajet en voiture.
Je comprends maintenant, des années plus tard, que l’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis) est une sous-catégorie complètement différente d’hyperacousie. Les personnes souffrant d’hyperacousie liée à l’intensité sonore (loudness hyperacusis) sont gênées et peuvent même ressentir de la douleur, mais ce n’est pas invalidant. Elles n’ont pas le même type de douleur que les personnes atteintes d’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis), et elles ne subissent pas de rechutes.
Les personnes atteintes d’hyperacousie liée à l’intensité sonore (loudness hyperacusis) disent des choses comme : « Quand je vais dans la cuisine, je m’en accommode. » Les personnes souffrant d’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis) ne peuvent pas s’en accommoder. J’ai réalisé que les patients faisaient une auto-sélection, ce qui signifie que je ne voyais que ceux qui étaient suffisamment en forme pour se rendre à la clinique. Dans le spectre de gravité, leur hyperacousie était légère, ou au pire modérée.
L’hyperacousie douloureuse est différente et elle est associée à un type de douleur unique. Des patients me contactent de partout dans le monde, et leur description de la douleur est étrangement similaire : une sensation de brûlure, une douleur poignante et lancinante qui donne l’impression que quelqu’un enfonce des tisons chauds dans leurs oreilles. C’est une douleur très distincte.
Certains patients souffrant d’hyperacousie ont également des acouphènes. Cependant, je vois des personnes avec de l’hyperacousie liée à l’intensité sonore (loudness hyperacusis) n’ayant pas d’acouphènes. Malheureusement, pour certaines personnes, leur hyperacousie s’améliore avec la thérapie sonore mais elles se retrouvent ensuite avec des acouphènes. Avons-nous déclenché les acouphènes avec la thérapie sonore, ou seraient-ils survenus de toute façon ? Il y a encore beaucoup de choses que nous ne savons pas.
Ainsi, je suis passé d’une approche confiante, dans laquelle j’étais trop sûre de moi, à une approche très prudente. Je consacre beaucoup de temps à écouter et essayer de comprendre ce trouble de l’oreille.
Une autre chose que nous ne comprenons pas est la réaction différée que nous observons avec l’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis). J’ai consulté un patient qui souffrait d’hyperacousie sévère liée à l’intensité sonore (loudness hyperacusis). Il a été traité avec succès par la thérapie sonore, ce qui lui a permis de sortir du placard du sous-sol où il s’était réfugié, puis de quitter la maison et de s’aventurer dans le monde.
Cependant, il a ensuite commencé à signaler que, bien qu’il puisse gérer de nombreux bruits environnementaux forts sur le moment, il rencontrait des douleurs sévères plusieurs jours après l’exposition. Il s’agissait pour moi d’un nouveau symptôme à essayer de comprendre. Ce patient n’est pas retourné s’isoler dans son sous-sol, mais en raison des douleurs rencontrées plusieurs jours après les expositions, il a dû recourir à des modifications de son mode de vie pour gérer les sons à l’extérieur de la maison. J’ai l’impression que nous avons traité l’hyperacousie liée à l’intensité sonore (loudness hyperacusis), mais qu’elle s’est peut-être transformée en hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis).
La mesure des niveaux d’inconfort liés à l’intensité sonore (LDL) est souvent effectuée par les cliniciens pour évaluer la gravité de l’hyperacousie. Les patients sont exposés à plusieurs « bips » de différentes fréquences, et il est demandé au patient de noter l’intensité des stimuli sur une échelle spécifique (très doux, doux, modéré, modérément fort, etc.) pour déterminer à quel niveau un son devient inconfortablement fort. Je n’apprécie pas ce test.
C’est un test pas fiable qui peut varier d’un clinicien à un autre en fonction des instructions utilisées pour effectuer la tâche. Je constate également que la plupart des personnes qui ont des douleurs ont peur de faire le test LDL, et je ne les blâme pas. Je crains également que certaines personnes ayant des douleurs rencontrées plusieurs jours après l’exposition ne finissent par se blesser de nouveau lors d’un test LDL.
J’ai travaillé avec suffisamment de patients souffrant d’hyperacousie liée à l’intensité sonore (loudess hyperacusis) pour voir que la thérapie sonore peut être très efficace. Cependant, ce n’est pas le cas pour l’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis). Je constate que la thérapie sonore peut rapidement aggraver les choses pour les patients souffrant d’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis), donc je ne peux que conclure qu’il s’agit de deux sous-catégories très différentes d’hyperacousie.
Un trouble du spectre auditif ?
« Est-ce un trouble du spectre auditif ? » C’est possible.
L’hyperacousie liée à l’intensité sonore (loudness hyperacusis) peut-elle se transformer en hyperacousie douloureuse (pain hyperacusisà en raison de divers facteurs tels qu’une exposition supplémentaire au bruit ou un médicament ototoxique ? Peut-être.
J’ai le sentiment que nous devons commencer par séparer les patients souffrant d’hyperacousie liée à l’intensité sonore (loudness hyperacusis) et les patients souffrant d’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis) et les étudier comme présentant des pathologies sous-jacentes uniques qui nécessitent des approches de traitement très différentes.
Le domaine de l’hyperacousie en est encore à ses débuts. Les informations disponibles indiquent que la thérapie sonore est bénéfique et que trop de protection auditive est néfaste. Ces informations peuvent être nocives et dangereuses pour les patients souffrant d’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis).
Les patients souffrant d’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis) ne surprotègent pas leurs oreilles. Ils essaient de survivre. Le son active en réalité les récepteurs de la douleur, et cela peut entraîner des réactions catastrophiques. Sans protections suffisantes, leur condition peut rapidement s’aggraver.
En tant qu’audiologiste, je sais maintenant qu’il est faux de dire aux patients souffrant d’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis) d’arrêter de porter des protections auditives ou de faire une thérapie sonore.
Alors, que peut-on faire ? Modifier son style de vie. La plupart de ces personnes apportent d’ailleurs déjà des modifications de leur style de vie car c’est la seule façon pour elles de traverser leur journée.
Ces modifications comprennent généralement l’insonorisation du domicile, l’abandon de la vaisselle traditionnelle au profit d’assiettes en carton et le port de protection auditive pour des bruits dangereux comme les emballages alimentaires, etc. Les personnes souffrant d’hyperacousie douloureuse (pain hyperacusis) sont souvent contraintes de quitter leur emploi car elles ne peuvent tout simplement pas gérer l’environnement sonore même d’un bureau typique. Quelque chose d’aussi ordinaire qu’un téléphone qui sonne représente un danger.
Ce que je peux faire en tant qu’audiologiste, c’est éduquer l’entourage des patients et les aider à comprendre qu’il s’agit d’un véritable trouble de l’oreille. L’hyperacousie douloureuse peut causer de grands ravages dans les relations. Les personnes ayant des oreilles saines ne le croient pas, ne le comprennent pas et accusent les personnes qui en souffrent de simuler. La vérité est que ce n’est pas un problème psychologique, c’est une véritable pathologie douloureuse.
L’hyperacousie commence souvent par une surexposition au bruit. Deux personnes peuvent se trouver dans le même environnement bruyant : l’une en sort indemne, tandis que l’autre développe une perte auditive, des acouphènes, de l’hyperacousie, ou les trois. Certaines oreilles sont plus susceptibles que d’autres d’être impactées par ces dégâts, mais nous ne savons pas encore à quel dégâts elles sont plus susceptibles d’être impactées, ni comment, ni pourquoi.
Grâce aux recherches actuelles, la plupart du temps attribuables aux efforts héroïques du regretté Bryan Pollard, fondateur de l’organisme à but non lucratif Hyperacusis Research, nous commençons à établir des liens au niveau cellulaire.
Depuis toutes ces années durant lesquelles j’ai travaillé avec des patients atteints d’acouphènes et d’hyperacousie, nous sommes dans la période dans laquelle il y a le plus d’espoir.
Actuellement, les patients savent à quel point il est difficile de vivre avec une hyperacousie douloureuse et la souffrance que cela implique. Notre tâche immédiate est de sensibiliser les communautés professionnelles et cliniques